[HOF] Poseydon et Duck (U64) - 13 Avril

Le Miroir de la Guerre
* Les Enfants des Ruines *

À Yuen, ce 588e rp, courage…

Lentement le vaisseau s’arracha du sol dans un bruit de tôle et d’acier froissés. Les pièces détachées s’éparpillèrent comme autant de débris que les droïdes s’empressèrent de ramasser, puis Daryl se coucha sous l’engin, cinquante tonnes de métal suspendues à cinquante centimètres au-dessus de lui. Il lâcha un sifflement.

— C’est de la merde, c’est ça ? interrogea un jeune homme qui venait de contourner la carcasse de l’appareil.

D’une main amoureuse, il longea la carlingue abîmée.

— On n’en retirera rien ? continua-t-il en se penchant pour mieux voir son ami.

Daryl et Kyle se connaissaient depuis l’enfance. À les voir aller tous les deux, on aurait pu croire qu’ils étaient frères, mais il n’en était rien. Ils avaient seulement grandi dans le même quartier mal famé de Galaxia, la capitale impériale, et avaient appris la vie ensemble dans les ruelles sombres et humides qui jouxtaient les ports. Comme de nombreux gamins des bas-fonds, ils avaient passé le plus clair de leur temps sur les pontons ou les docks, à observer et envier les pilotes dans leurs combinaisons flambant neuves, se rêvant pirates de l’air ou contrebandiers dans des navettes aussi rutilantes que celles qui se posaient chaque jour par milliers entre les murs de la base spatiale.
Mais les années avaient passé et ils étaient désormais apprentis dans la même casse de vaisseaux, travaillant tous deux pour le même ferrailleur aigri qui ne leur laissait qu’un maigre salaire en comparaison du travail abattu. Aucune chance, pour l’un comme pour l’autre, de se libérer un jour de leur condition, bien que cela ne les empêchât nullement de rêver d’un avenir cent fois meilleur.

— Non ça va, je crois que le moteur tiendra le coup encore un moment, mais pour l’extraire de là, vas-y ! Un beau bordel encore.
— Laisse tomber, c’est pas la peine de faire de la récup' à tout prix. Pas question que je risque ma vie là-dessous, sors de là.

Presque aussitôt, le chariot recula et Daryl émergea de sous le chasseur, le visage noirci au cambouis et la combinaison encrassée.

— Attends, tu sais la valeur de ce truc ? À force de laisser passer des pièces pareilles, on aurait de quoi se construire une bombe.

C’était le rêve des deux jeunes gens : amasser assez d’éléments pour construire leur propre navette. Toma O’Neil, le ferrailleur, les laissait volontiers prélever quelques pièces sur les carcasses qu’ils devaient démonter, à condition qu’ils travaillent bénévolement quelques heures de plus.

— Laisse tomber, on a plus de chance d’y arriver que de gagner à l’UniMillion, répéta Kyle, adossé à la carlingue, tandis que Daryl hésitait, le nez levé vers le moteur.
— Tu y joues ? demanda son ami, amusé.
— Non, mais t’imagines ? On s’achèterait une superbe navette peinte en rouge. Et on séduirait toutes les filles qu’on veut.

Daryl s’esclaffa.

— Oui, surtout la petite Kate des docks, pas vrai ?

Son ami fit semblant de lui expédier un coup de pied que le jeune homme évita aisément et ils rirent de concert. Puis Kyle aida Daryl à se relever et ce dernier fit un signe en direction de l’immense robot qui les assistait dans leur travail. Celui-ci reposa la carcasse de l’appareil et les accompagna de son pas lourd jusqu’au hangar où les attendaient encore trois chasseurs dans un état défiant l’imaginaire.

— Je me demande ce qu’ils leur font là-haut à ces pauvres vaisseaux pour qu’ils soient dans un tel état, commenta tristement Kyle en caressant le nez d’une navette dont toute l’aile gauche avait été arrachée.
— Je ne sais pas, mais j’aimerais bien assister à ce genre de combat une fois dans ma vie.
— Bon, ben on gagne l’UniMillion, on s’achète un super-vaisseau, on séduit les filles et on va combattre ! Ça me paraît chouette comme programme, on commence quand ? railla son ami.

Daryl ne prit pas la peine de répondre. Il partageait l’amertume de Kyle et savait très bien que rien ne changerait dans leur petite vie monotone avant longtemps. Mais ils étaient deux jeunes gens, à qui la vie donne des rêves, et ils ne s’en privaient pas. En silence, tous deux reprirent leur travail avec sérieux, démontant les coques détruites à grand renfort d’armement surpuissant, abaissant des moteurs et des cylindres énormes que les chocs avaient réduits à l’impuissance, mettant de côté ce qui pouvait l’être pour la vente, triant le reste.
Ils s’estimaient au plus loin de la guerre qu’on puisse être dans la longue hiérarchie de l’espace. Bien des gens avaient l’occasion d’approcher un vaisseau en état de vol avant qu’ils n’en aient l’occasion : ils n’étaient ni des dockers, ni des pilotes. Aucun d’entre eux n’aurait été admis à l’École Spatiale en raison de leur basse condition. Pourtant, ils en auraient eu les capacités, au moins autant que les fils à Papa qui s’y trouvaient enrôlés sans passion, sans volonté, parce que Papa était pilote avant eux. Non, eux, ils sont nés dans les bas-fonds et rien, ni personne, ne les prédestinait à en sortir.
Seulement la guerre ne choisit pas de nation. Elle n’existe pas dans une case prédéfinie. Elle prend, elle vole des vies au hasard. Ici, aujourd’hui, demain, là-bas. Un vaisseau à la coque rutilante ou un vaisseau rouillé sorti d’une casse, la différence n’existe pas. La guerre, ça commence comme ça.