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 La tristesse de l'auteur

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Nymphe Ydeil
Enfant de Lune
Enfant de Lune
Nymphe Ydeil


Messages : 6433
Date d'inscription : 06/08/2007

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MessageSujet: La tristesse de l'auteur   La tristesse de l'auteur Icon_minitimeMar 17 Mai 2011 - 3:39

La tristesse de l'auteur Barreetoile1zk5

Les Plumes de Sionabel présentent

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La tristesse de l'auteur Bannympheii...<3...

> > > LA TRISTESSE DE L'AUTEUR < < <

[align=justify]Presque sans bruit, il referma la porte derrière lui et s’y appuya. C’était la première fois que ça lui arrivait et il n’y avait pas que son orgueil qui en prenait un coup. Tout son être en était ébranlé. En vain, il tenta de calmer sa respiration et fit quelques pas dans l’appartement. Il alla à la fenêtre, l’ouvrit et aspira un bon bol d’air frais. Non, ça n’allait pas. Il referma la fenêtre. La pression sur sa poitrine ne s’en irait pas comme ça. Il emplit un verre d’un liquide ambré et le porta à ses lèvres… mais il n'acheva pas son geste.
Le regard perdu, il posa le verre sur la table et se laissa tomber sur la chaise la plus proche, les coudes sur les genoux. Il se massa les tempes pendant un moment. Puis il palpa son pantalon à la recherche de son paquet de cigarettes. Comme un malheur n’arrive jamais seul, il découvrit finalement ce qu’il cherchait au fond de sa poche arrière droite, complètement écrasé. Il en extirpa une cigarette tordue qu’il fixa entre ses lèvres tout en soupirant. Il dût tenir son briquet à deux mains pour ne pas trop trembler et réussir enfin à allumer le tube de nicotine.
Il tira sa première bouffée et la recracha vers le plafond avec un soulagement évident. Le geste, mécanique, le calma quelques temps. Mais pas assez. Lorsqu’il noya finalement le mégot éteint dans son verre d’alcool, il fut tenté d’allumer une nouvelle cigarette. Mais il ne le fit pas. Ses doigts errèrent distraitement sur le bord du paquet froissé, puis se résignèrent et retombèrent à plat sur la table. Il se sentait plus mal que jamais. Comment avait-il pu en arriver là ?
Son regard se posa sur les étagères qui lui faisaient face : dix lignes horizontales, couvertes d’ouvrages. Il y avait là près de trois cents œuvres signées de la même plume : la sienne. Certaines étaient co-écrites, mais il les comptait à part. Il y avait aussi celles dont il n’était pas directement l’auteur, seulement l’inspirateur. L’idée était de lui, les mots d’un autre. Tant de récits, tant de mots, de phrases, de rêves achevés, passés et pourtant, dont il gardait la trace indélébile inscrite au fond de lui.
Car il se souvenait de chacun de ses travaux, des routes parcourues, des recherches effectuées pour rédiger chacun d’entre eux. Il se souvenait des visages de ceux pour qui il avait écrit, de leur nom, parfois même de leur adresse. Une mémoire de travail, complexe, efficace et peut-être même redoutable parfois. Mais pas ce soir. Ce soir, pour la première fois, il avait envie d’immoler toutes ces œuvres vides de sens. Elles ne représentaient plus rien pour lui. Il ne voulait plus continuer.
Pourtant, il n’esquissa pas le moindre geste en direction des étagères tentantes ; il demeura assis à table, les mains bien à plat sur la surface polie, tremblant de froid, d’épuisement et de tristesse. Car c’était de cela qu’il s’agissait : toute la tristesse de l’écrivain qui, d’un coup d’œil assassin, réduit à néant l’œuvre d’une vie et ne se rend plus compte, dans cet instant de dépérissement absolu, de la valeur de son travail ni des efforts qu’il a fallu produire pour leur donner le jour.
Les épaules tremblantes, il se prit la tête entre les mains, oscillant entre rage et désespoir. Finalement, la cigarette n’avait pas réussi à le calmer. Il aurait voulu se lever mais son corps refusait tout mouvement. Il haïssait l’abattement trop familier qui voutait son dos, courbait ses reins et le laissait hagard, l’œil vide et la tête baissée. D’un geste furieux, il balaya la table du plat de la main. Alcool et cigarettes allèrent s’écraser contre le mur dans un bruit de verre brisé, laissant une trace brillante et jaune sur le papier blanc de la tapisserie.
L’impuissance qu’il ressentait lui broyait le cœur. Il se souvint du regard hilare du duo qui avait ridiculisé sa dernière œuvre. Ils avaient assisté au lancement, hypocritement, comme tous les autres. Il le savait bien, personne n’était plus vraiment intéressé par ce qu’il faisait. Après Harry Potter, la fantasy avait vite été victime de son propre succès. Bien qu’encore synonymes de qualité et de réussite pour certains, ses œuvres ne trouvaient plus grâce aux yeux de la majeure partie des lecteurs. Les temps changeaient, tout simplement.
Que pouvait-il contre ça ? Rien, seulement s’adapter ou être condamné, comme tant d’autres avant ou après lui. Inconsciemment, il avait toujours su que les lecteurs de son genre se raréfiaient. Tout comme il avait deviné que l’invariabilité de son œuvre commençait à lasser son rare public. On ne crée pas trois cents textes comme il l’avait fait sans épuiser la précieuse originalité qui forge la renommée et surtout le charme d’un auteur. L’alliance qui unit un lecteur à l’écrivain est comme un mariage : pour entretenir la passion, il faut savoir éviter la routine. À quel moment s’était-il engagé sur cette pente glissante de la facilité ? Et savait-il encore ce qu’était l’originalité ?
J’avais un don, songea-t-il, accablé. Et les larmes coulèrent sur ses joues pour la seconde fois de la soirée. La première fois, c’était dans le taxi qui le ramenait à son appartement. Il avait quitté le lancement bien avant la fin, les quolibets et les plaisanteries l’ayant atteint de telle sorte qu’il n’avait pas pu affronter à nouveau l’hypocrisie d’une telle soirée. Ses détracteurs étaient deux directeurs de collection, affiliés à une maison d’édition pour laquelle il écrivait depuis longtemps. Ils n’avaient pour leur part aucun talent littéraire, mais la collection qu’ils dirigeaient avait assez de réputation pour qu’il ait toujours fait abstraction de ce détail.
Avec lenteur, il alluma une nouvelle cigarette presque sans trembler cette fois et se leva enfin, essuyant furtivement ses yeux. Des critiques, il en avait déjà essuyées, comme tout le monde d’ailleurs. Mais il n’avait jamais été ainsi opposé à des plaisanteries gratuites. Il s’approcha des étagères et parcourut du regard les titres qui s’inscrivaient sur les couvertures. Il caressa comme un amant le dos de certains livres. Oui, celui là… Celui là encore, sur la droite ! Il les avait écrits pour eux. Ils avaient commandé ces textes-là pour mieux lui cracher dessus plus tard.
À cette époque, il faisait l’unanimité dans tous les salons du livre, dans toutes les rencontres littéraires. On le connaissait de nom bien avant qu’il ne connaisse des visages. On citait même ses textes quand on le rencontrait. À tel point que les maisons d’édition se l’arrachaient et qu’il produisait plus et mieux que jamais, pour son plaisir autant que le leur. En dépit des rivalités entre maisons d’édition, ils s’entendaient tous pour saluer sa plume. J’avais ce don de les unir, se dit-il encore en secouant douloureusement la tête.
Sa main glissa le long des étagères et retomba le long de sa cuisse. Il jeta un regard bouleversé en direction de son bureau où l’attendaient feuillets et stylo mais n’eut pas le courage de les rejoindre. À quoi bon… Il ne voulait plus écrire. C’était fini ! Il n’affronterait plus aucune plaisanterie au sujet de la qualité ou la quantité de ses textes. Il n’entendrait plus jamais dire qu’il imposait ses écrits aux autres en noyant le marché. Non. Il l’avait fait parce qu’ils en avaient toujours redemandés, rien de plus. Par plaisir et uniquement par plaisir.
Il alla écraser son mégot dans un cendrier sur le bord du bureau puis fit demi-tour et se dirigea vers la porte de sa chambre. La main sur l’interrupteur, il laissa une dernière fois son regard errer sur les centaines de textes qui s’alignaient là. Demain, il irait s’excuser auprès de ses éditeurs pour le lancement raté. Il leur dirait qu’il avait échoué, qu’il avait perdu son don et peut-être qu’il ne voulait plus écrire, bien qu’il ait conscience de n’agir là que par fuite et non par raisonnement logique.
Les deux directeurs littéraires se réjouiraient de cet abandon : ils allaient pouvoir gagner leur place dans le marché. Pauvres fous. Avec quel talent ? Demain il s’occuperait de leur écrire, peut-être aussi de les dénoncer auprès de leur maison d’édition. Demain, il essaierait d’oublier. Demain, il lirait dans les journaux qu’après s’être fait lourdement reprocher de ne plus publier les œuvres de sa plume, les deux directeurs littéraires avaient décidé de plaisanter à son insu lors du lancement de sa dernière œuvre. Il comprendrait la jalousie et peut-être sa tristesse disparaîtrait-elle. Demain, quelques amis écrivains ou éditeurs incendieraient copieusement les deux plaisantins pour leur manque de professionnalisme.
Mais pour l’heure, il éteignit simplement la lumière sur cette pièce qui avait vu naître tant de mondes imaginaires et alla se coucher. Il savait qu'il lui faudrait plusieurs jours pour vaincre cet abattement, seul d’abord, puis auprès de ses amis. Il ne pourrait pas réécrire avant longtemps car la tristesse de l’auteur est une chose longue et douloureuse qui endigue l'encre et les idées et plonge dans l'ombre le père des rêves et des mots.
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