Yuen Créateur de Mondes
Messages : 650 Date d'inscription : 05/12/2010 Age : 32 Localisation : A la recherche d'Arcadie...
| Sujet: La mort dans les yeux Mar 2 Juin 2015 - 13:49 | |
| Nous y sommes. C’est la fin, la vraie fin. Pas un happy end comme dans les films romantiques.
Il avance vers moi. Sa mâchoire se contracte, il sent les sentiments l’envahir. Il avance d’un pas décidé. Pour lui et pour les autres qui sont là. Ils me regardent tous. A genoux, assis, debout, en pleurs ou la main devant la bouche. Les yeux fermés. Il arrive à ma hauteur. Il tend son bras au bout duquel une arme en acier, froide et sanglante, est prête à faire feu. Il va appuyer, ce n’est qu’une question de seconde. Mais je lis dans ses yeux… Je lis dans ses yeux quelque chose d’indéfinissable… C’est une vie, un monde qui s’y trouve. La compassion, la tristesse, le désarroi n’approchent que de loin le plus faible des sentiments qu’il éprouve.
Pourquoi doit-il le faire ? C’est à lui d'accomplir cette tâche, il le sait. Personne d’autre n’a voulu de ce lourd fardeau, par manque de courage, de force, ou de volonté. Pourtant, lui, il l’a trouvé ce courage qui sort d’on ne sait où. Et il me regarde. Il me demande pardon, ses yeux disent non et oui à la fois. Il est en colère, ça se sent, ça se voit. Les sentiments se transforment en sueur qui perle sur sa peau. Pourquoi Dieu lui impose-t-il une chose pareille ?
Ses compagnons nous regardent, ils pleurent. J’entends même une femme crier. « Nooon, nooooooooon » hurle-t-elle. Ça ne changera rien, elle sait elle aussi que c’est la seule et unique solution. Un choix s’offre à moi. Profiter de mes dernières secondes pour regarder le bout de métal qui jongle avec mes peurs, mes angoisses, ma conception de la vie et de la mort, la fin, MA fin. Ou bien regarder une dernière fois cette vie à travers ses yeux. Regarder, transpercer son âme, me fondre en lui et essayer d’y trouver une réponse, une aide, un soulagement. Regarder les deux reviendrait à n’en regarder aucun. Je dois choisir. Vite, il va bientôt tirer. Je plonge alors mon regard dans le sien. Une antichambre temporelle s’ouvre, nous nous retrouvons tous les deux. Il fait noir et il fait froid. Il se tient debout devant moi, comme je l’ai toujours vu, imaginé, admiré. Il ne sourit pas et je sens qu’il crève de me prendre dans ses bras. Je lui demande alors « Pourquoi ? ». Il me regarde intensément. « C’est à moi de le faire, à personne d’autre » dit-il. « Je te le dois, tu ne mérites pas moins ». Je le crois. Qui d’autre aurait pu, voulu ou même osé ?
Retour au temps présent, je lis d’autres choses à présent. « Je t’aime, pardonne-moi ».
A quoi sert de demander pardon à la personne que vous allez abattre la seconde d’après ? Il pense peut-être que je vais venir le hanter une fois que la balle plantée entre mes yeux sera refroidie. Je regarde enfin l’arme. Ce drôle d’objet forgé de la main de l’Homme pour prendre la vie de ses frères. Mécanisme physique, détonateur, barillet, balles, poudre, explosion, bruit. C’est ce qui m’attend. Ma vie entière défile dans ma tête. Ai-je bien vécu, ai-je bien agi ? Je n’en sais rien. Après tout, je n’ai pas eu le temps de faire grand-chose dans ma si courte existence. Je n’ai que douze ans. Je le revois sourire, rire avec mes proches que j’aime. C’est le dernier souvenir que je veux garder de lui. Je le transpose dans ses yeux.
Il tire. Adieu, je t’aime, pardon. Papa.
| |
|