[ACCEPTÉ] Qu'en dit Dat-Hur, des ratures d'un Dickens ?

Le Jeu du Saint

Le jeu était simple : tuer ou être tué. En dehors de ça, pas de salut. C’était la règle. Ceux qui y dérogeaient avaient intérêt à avoir de foutues bonnes raisons quand ils devaient s’expliquer devant le conseil. Pour tout vous dire, je n’ai jamais compris le principe. Même maintenant, j’ai l’impression que le mec qui l’a fait s’est flingué tout seul ! Enfin c’est son affaire. Moi, je reste pénard dans mon coin et personne ne vient me chercher des embrouilles. Je me dis que parfois, c’est mieux de ne pas faire de vagues.
Enfin, il s’est bien démerdé, je dois dire. Il savait probablement ce qu’il faisait et je crois que les organisateurs du jeu n’ont pas compris tout de suite. Sinon ils l’auraient arrêté avant, c’est sûr ! Ils l’auraient probablement évincé comme Johnny le Rouge. Ouais, ce mec-là, c’était une vraie brute. Jamais vu de pareille !
On ne se marrait pas quand il était là. Il cognait tellement fort que le mec en face n’avait pas la moindre chance de s’en sortir vivant. Tu terminais avec le nez enfoncé dans le crâne et baignant dans ton sang avant d’avoir fait trois pas dans l’arène. Pas agréable, ça, j’vous le dis ! Johnny allait trop vite. Ça ne rapportait pas assez pour les organisateurs. Personne ne pariait plus. Alors ils lui ont demandé de ralentir, vous voyez, de faire semblant quoi…
Peine perdue ! Le Rouge a piqué une crise. Pas jolie, jolie d’ailleurs. Il a même défoncé le crâne de quelques dirigeants. Nous on rigolait bien, pour une fois que ça leur retombait sur la gueule. Enfin après, ils ont réussi à le mettre à terre, je ne sais pas trop comment et il ne s’est jamais relevé. Il y en a qui disent que c’était un accident. Je n’y crois pas trop. Mais depuis cette histoire, il faut dire qu’ils ont obtenu ce qu’ils voulaient : on s’est tous tenu à carreaux. Accident ou pas, on savait ce qui nous pendait au museau si on faisait les cons.
Je crois que ça a commencé il y a un mois. Peut-être plus. On savait tous qu’il y avait des candidats pour reconquérir le trône de Johnny. Mais celui-là, on ne sait pas d’où il est sorti exactement, on ne le connaissait pas. Il se montrait plutôt discret comme type et pas très causant sauf dans l’arène. Ça, dans l’arène, c’était un sacré phénomène !
C’est grâce à la rumeur qu’on a été tenu au courant. C’est peut-être comme ça que les organisateurs ont fini par le savoir eux aussi, d’ailleurs. Faut dire que ça se répand vite chez nous et si en plus, un vendu trouve son compte en parlant aux chefs, il ne se gène pas. Au début, on parlait d’un mec qui ne voulait pas tuer. Ça nous faisait rigoler, mais on ne s’en occupait pas plus que ça. Vous savez, c’est courant qu’un mec ait les chocottes au moment de donner le coup de grâce. Faut pas croire que c’est un geste vraiment naturel.
En général, ils n’ont pas le choix, les spectateurs demandent toujours la mise à mort. S’ils ne peuvent pas, leur adversaire profite de leur faiblesse. Tuer ou être tuer quoi. Enfin, toujours est-il qu’on en plaisantait entre nous jusqu’à ce qu’il y en ait un qui revienne du combat en vie. Il s’était fait cogner dessus, ah ça oui ! Pas qu’un peu même. La gueule en vrac, il est revenu quand même. Et il parlait d’un saint homme. Les bondieuseries chez nous, c’est pas trop notre genre vous savez mais je dois dire qu’on n’a pas le crâne assez défoncé pour ne pas tilter quand un cas comme ça se présente.
On a tout de suite vu que le gars n’était pas dans son assiette. Il en parlait comme d’un Dieu : « Il m’a épargné », qu’il répétait sans arrêt. Bah, ce n’était pas le premier à vouloir épargner un homme, ni le dernier probablement mais de là à mettre une brute dressée pour le combat dans un état pareil, il y avait une marge qu’on n’a pas tardé à comprendre. Le « Saint » descendait plusieurs fois par jour dans l’arène. Il avait toujours l’appui du public et je crois que c’est pour ça qu’on lui a laissé le droit de ne pas tuer.
Je l’ai affronté moi aussi... comme les autres. On voulait voir ce qu’il valait. Il ne se battait pas comme les autres, pas du tout comme les autres, pour tout vous dire. Chez lui, ce n’était pas un combat, c’était un art. Quand il frappait, tu tombais, il était sans doute cent fois plus fort que Johnny mais ce n’était pas une brute, ça non ! Après il se penchait sur toi et il te regardait droit dans les yeux. Je n’oublierai jamais ce regard-là. T’en faisais dans ton froc. Et puis ce type là, ce « Saint », il te demandait de te repentir de tous ceux que tu avais tués. Il te disait que le pouvoir de Dieu était dans ses mains et qu’il te donnerait la vie contre celles de tes morts.
Je vais vous dire… J’ai beau ne pas croire en toutes ces conneries mais quand j’ai été dans l’arène, j’ai tout confessé et j’ai chialé comme un gosse. Quand il a posé sa main sur mon épaule pour m’accorder son pardon, il m’a dit son nom. Odin, comme le Dieu. C’est pas mal hein ? Mais maintenant je l’appelle Saint Odin comme les copains. Parce qu’il m’a sauvé la vie, voyez ? Un type comme ça, ça ne s’oublie pas.